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La culture sans barreaux

Palmarès : 10ème sur 260 – 2023


– Si je te dis « évasion », à quoi tu penses ?
– Très drôle ta question !
– Mais non, je suis sérieuse ! Evasion, ce mot te fait penser à quoi ?
– Je n’en sais rien, moi ! Evasion fiscale ?.. J’ai bon ?!
– Oui, c’est pas mal ! Moi, il me fait penser à « lecture ». S’évader par la lecture. Vraiment, c’est une des meilleures façons de s’évader. Tu te rends compte de tous les endroits où on peut aller, rien qu’avec la lecture ?

Carine et moi, on discute souvent de pleins de sujets divers et variés. Je m’entends bien avec elle. Je peux dire aujourd’hui que c’est ma meilleure amie. Je n’ai pas vraiment le choix non plus. Je ne rencontre pas assez de personnes intéressantes alors, oui, c’est ma meilleure amie. Peut-être qu’un jour on se fâchera ou qu’on ne se verra plus mais, d’ici là, on en profite un max ! On rigole bien toutes les deux !

Avec mes bouquins, j’ai déjà fait le tour du monde, je suis allée sur la lune, j’ai visité des galaxies hyper lointaines, j’ai voyagé sous la terre, sur les mers, dans l’espace. J’ai été criminelle, présidente, mannequin, espionne, amoureuse, informaticienne, traitre, paysanne, aventurière, esclave, violée, violeuse, politicienne, juge, avocate, ouvrière, conductrice de bus, vengeresse, tortionnaire, menteuse, enfant, adolescente, adulte, vieillard… Bref, j’ai lu toutes sortes d’ouvrages et j’ai découvert pleins d’univers différents. Mon imagination s’est démultipliée à chaque roman que j’ai pu lire. J’ai vu les personnages et les lieux, les couleurs et les odeurs, le moyen-âge et le futur, les arbres et les animaux, l’eau et le ciel, les bons et les truands… Chaque histoire me permet de voyager, de m’évader, de me créer des aventures. Cela change tellement de la routine de ma vie. Je me lève le matin. Je lis. Je bois un café. Je lis. Je travaille. Je lis. Je déjeune. Je lis. Je fais du sport. Je lis. Je dîne. Je lis. Je me couche. Je lis. Je rêve… Et une nouvelle journée recommence le lendemain. Identique. Monotone. Routinière. Vous allez me dire que c’est le lot commun pour chacun. Oui, peut-être, mais pas tout à fait quand même !

Ma mère habite loin de moi mais, comme elle connaît ma passion pour la lecture, elle m’envoie toutes les semaines des livres d’occasion. Elle les récupère dans les boîtes à livres qui poussent un peu partout dans les villes. J’attends impatiemment mon colis chaque jeudi. Elle récupère les livres le samedi. Le lundi, elle va à la Poste pour envoyer le colis et je le reçois le jeudi. C’est très cadencé, normalisé. Quand je vous dis que ma vie est réglée comme du papier à musique. Ma mère, je ne l’ai vue que dix fois en huit ans. Il faut dire aussi que lorsqu’elle vient, on finit toujours par s’engueuler. Elle me répète tout le temps que je dois changer mon mode de vie, que je pourrais venir vivre chez elle, trouver un travail et reprendre une vie plus calme à la campagne.

J’ai lu l’histoire vraie d’une vache qui s’est fait adopter par un prisonnier pendant la guerre et qui lui a servi d’alibi pour quitter l’Allemagne et revenir en France.  « Une histoire vraie » de Jacques Antoine. Ils en ont fait un film « La vache et le prisonnier » avec Fernandel. Peut-être que ma mère voudrait que j’adopte une vache aussi ! Va savoir ! Non, bien sûr je me moque, mais c’est compliqué de discuter avec ma mère. Elle ne lit que des histoires à l’eau de rose, des romans d’amour, des histoires « cucul la praline ». Cette expression d’ailleurs viendrait d’une île des Seychelles, le Praslin. Là-bas, sur les plages de sable blanc bordées d’une eau turquoise, poussent des noix de coco à la forme très suggestive qui s’appellent « coco-fesses ». Fesses et Praslin, ces deux mots ont donné cette jolie formule !

Tu le sens le soleil sur ta peau, tu l’entends le bruit des vagues ? Et la petite brise ? Vas-y, évade-toi !

Enfin, bref, ma mère, elle s’imagine que la vie, c’est comme ce qu’elle lit. Tu parles d’un programme ! « Oh, mon amour, je veux vivre toute ma vie avec toi. Tu es mon prince charmant. Et même si tu n’avais pas d’argent, je t’aimerai quand-même… ». Ma pauvre petite maman, si tu lisais les livres que tu m’envoies, tu te rendrais compte que les magnifiques histoires d’amour, ce n’est vraiment que dans les livres. Parce que dans la vraie vie, c’est autre chose. Tu te serais aperçue que les récits sont loin d’être idylliques.

Si je n’avais pas les romans, les aventures, les histoires, les fictions, les contes, les biographies, les légendes, toutes ces petites touches de vie colorées, je pense que je serais morte aujourd’hui. C’est la lecture qui me maintient en vie. Quand j’ai le cafard, je m’imagine être le héros d’un des romans que j’ai lus ; un capitaine corsaire voguant à travers tous les océans, à la recherche d’un quelconque trésor ou d’un bateau à pirater. Je me vois, sabre à la main, luttant contre un gouverneur de l’armée du Roy. Et bien sûr, c’est moi qui gagne ! Je vois les îles lointaines, inexplorées, recouvertes d’une végétation luxuriante et envahie de singes aux regards inquiétants. Avec mon équipage, nous creusons sous un immense cocotier, adossé à un rocher de lave. Latitude 20.2534998. Longitude 57.589573. Nous y cachons notre formidable butin composé de pièces d’or et d’argent, de bijoux, de diamants. Le scintillement de ce trésor est un émerveillement.

– Mélanie, viens manger, ça va être froid !
– Oui, j’arrive. Je finis ma page. Tu te rends compte, la femme du président est une traitresse. C’est elle qui a vendu les plans pour que le ministre soit kidnappé. Jamais je n’aurais imaginé qu’elle était dans le coup.

Carine me répond un « ouais, ouais, c’est dingue ! », absolument pas convaincue par mes propos ! Elle n’aime pas tellement la lecture mais en général, elle aime que je lui raconte les histoires. Pourtant, ce livre d’espionnage, elle ne l’apprécie pas beaucoup. Je le sens bien. Un de mes derniers livres racontait l’histoire d’une petite fille abandonnée à la naissance et qui recherchait ses vrais parents. Carine était passionnée. Cela faisait écho à sa propre histoire et je pense que cela lui a donné des idées pour commencer des recherches sur sa propre histoire. Quand je lui faisais le résumé des pages que je venais de lire, son esprit s’envolait et elle s’identifiait. Je l’ai vu verser quelques larmes lorsque l’héroïne a enfin retrouvé ses parents. Elle s’était tellement attachée à ce personnage qui lui ressemblait tant !

Des fois, c’est Carine qui choisit l’ouvrage suivant. De toute façon, je vais tous les lire, j’ai du temps pour cela, surtout le soir parce que nous ne regardons pas la télévision. Des fois, elle vient dans mon lit. On se met sous les draps avec une lampe de poche. Et je lis à haute voix mais pas trop fort. Je lui fais peut parfois. Quand il y a beaucoup de suspens, je pousse un cri à son oreille et elle sursaute, tellement elle a peur !

J’aimerais que Carine attrape la passion de la lecture. Mais ce n’est pas gagné. Elle ne lit pas couramment et elle a un peu honte. Je lui ai expliqué que justement, plus elle lira, mieux elle lira. Mais elle n’est pas emballée. Je laisse faire, un jour elle aura sûrement le déclic !

Je me souviens de mon premier livre. C’était un « Oui-Oui » de Enid Blyton. Bon d’accord, ce n’est pas très glorieux. Mais j’avais six ans et j’étais tellement contente de pouvoir lire seule que j’ai décidé à partir de là, de lire tous les jours, tout le reste de ma vie. Et j’ai tenu parole !

J’ai une préférence pour les thrillers. Je m’imagine devenir le commissaire de police, élucidant les plus grandes affaires, recevant les félicitations du ministre de l’intérieur. Je suis reçue Place Beauvau à Paris. La Légion d’Honneur est épinglée sur mon corsage. Le champagne et les petits fours offerts après la cérémonie me font saliver. Cela me change des piteux repas que j’ingurgite ici ! Parfois, je pars tellement loin dans mon trip que j’en oublie de lire. Mon esprit part, s’envole, se déconnecte de mon âme. Il prend le dessus et je n’entends plus rien. Je suis dans une voiture, dans un bateau, dans un avion, sur un vélo. Je fends l’air dans mon véhicule. J’avance, je cours, je vole, je plane. Je me crée ma propre histoire. Je suis le livre, je suis le roman, je suis l’histoire. Jusqu’à ce que Carine me sorte de ma bulle.

Elle m’a fait rire tout à l’heure lorsqu’elle a répondu à ma question. Elle a tellement raison ! L’évasion fiscale. Quel vaste sujet ! Ce qui me gave, c’est que les évadés fiscaux, en général, ne risquent jamais rien. Ils font partie des riches qui magouillent sans vergogne. Ils ont déjà pleins de pognons mais ils n’en ont jamais assez. Par contre, le petit Français qui oublie quelques euros dans sa déclaration d’impôts, lui il risque gros s’il se fait choper ! Ce qui est drôle avec l’évasion fiscale, c’est que ça concerne souvent des pays magnifiques. Ce n’est pas pour rien qu’on les appelle des « paradis » fiscaux ! Vous avez par exemple, les îles Fidji, le Vanuatu, les îles Vierges, les Seychelles, le Panama, les Samoa, la Trinité-et-Tobago… S’évader avec tout son fric dans des lieux paradisiaques ; c’est vraiment un kif total ! Ce n’est pas à moi que cela arriverait, parce que je dois avoir cinq cent dix-sept €uros, en tout et pour tout. Mais pas ici ! C’est ma mère qui les garde chez elle. Habitude de petite fille, sûrement !

N’empêche, rien que d’entendre le mot Vanuatu, cette évocation me fait plein de frissons dans tout le corps. Destination l’Océanie et l’océan Pacifique. Vanuatu « île de cendre et de corail ». Le magnifique ibiscus en est la fleur nationale mais le pays n’est pas avare de couleurs et de senteurs : les fleurs de vanille, l’ylang-ylang, l’arbre de bougainvilliers ou la magnifique fleur de tiaré à l’odeur irrésistible n’en sont qu’un exemple ! L’océan regorge de près de mille espèces de poissons, certains aux couleurs chatoyantes, tel le poisson mandarin ou d’autres, impressionnants, tel le barracuda. Les nombreuses tortues de mer côtoient les bancs de coraux et les langoustes. Le crabe des cocotiers est une spécialité culinaire très appréciée.

Maintenant, imaginez… Des vahinés, coiffées d’une couronne de fleurs, habillées d’une jupe fabriquée à base d’immenses feuilles. Elles s’avancent dans la mer jusqu’aux hanches et, avec leurs doigts, leurs mains, leurs poings ou leurs bras, elles battent, frappent, caressent ou effleurent l’eau. Elles en font de la musique qu’elles accompagnent de leurs chants. Elles appellent cela « les jeux d’eau ». Au soleil couchant, assise sur le sable, je m’y vois les écoutant et les regardant, admirative, avec toute la crédulité de mon ignorance culturelle ! Et les hommes, dansant le Haka, danse ô combien masculine et virile ! Rituel original pratiqué par les maoris lors des conflits. Lorsque ces hommes se frappent sur les cuisses, le son qui en ressort est digne d’une déclaration de guerre !

Alors, je ne vous ai pas emmené avec moi dans ce magnifique pays ? Vous ne vous êtes pas un peu évadé ? J’espère que si quand même ! Bien sûr, moi je n’y ai jamais mis les pieds. Mais ma mère m’a fait parvenir un livre qui décrivait toutes les choses à voir, à faire, à visiter et surtout à comprendre, lorsqu’on se rendait à Vanuatu. L’ouvrage était rempli de photos, les descriptions abondantes. Il ne manquait plus que le bruit de la mer et l’odeur des fleurs.

Bon, c’est sûr que l’évadé fiscal, il n’y va pas pour se mettre un collier d’orchidées autour du cou. Peut-être comprendrait-il à ce moment que l’argent ne vaut rien lorsqu’on vit des moments aussi forts auprès des autochtones ? Non, cela m’étonnerait, les truands ne font pas ce genre de tourisme !

Mais l’évasion par la lecture, c’est tellement vaste que je suis sûre que tout le monde peut y trouver son compte. Carine, elle m’a dit un jour que je devrais écrire un livre. Cela m’a fait rigoler parce que, même si j’adore lire, je ne suis absolument pas capable d’en rédiger un. Je n’ai pas assez de culture générale, j’en suis consciente et franchement, qui voudrait éditer un de mes romans ? Personne, bien sûr. Tous les jours, des dizaines d’écrivains envoient leurs manuscrits aux maisons d’éditions. La majorité des documents est mis à la poubelle. Le mien finirait au même endroit. Alors, je ne vais pas me fatiguer à chercher un sujet de livre. Autant le mettre tout de suite au rebus !

Pour moi, un excellent livre, c’est quand il m’accroche dès les premières lignes. J’ai lu quelques pépites comme « Les Âmes vagabondes » de Stéphanie Meyer, « Misery » de Stephen King, ou « Une vie française » de Jean-Paul Dubois. Dès le départ, j’ai été emmenée dans ces histoires. Impossible de fermer le livre. Je me disais « allez encore une page et je me couche ». Mais chaque page me donnait l’envie d’en lire une nouvelle. C’était sans fin ! Que de souvenirs !

Ensuite, il y en a qui ne m’ont pas laissé de traces indélébiles. J’ai toujours beaucoup de plaisir à les lire mais je ne les garde pas en mémoire. Une fois la dernière page finie, je passe à un autre roman. Je me replonge dans un nouvel univers, avec des personnages différents, une autre époque. Je repars à l’aventure, prête à dénicher le coupable idéal ou à découvrir un pays lointain inconnu.

Petite fille, j’aimais regarder les livres remplis de photos du monde ; les paysages bien sûr, mais aussi les arbres, les animaux, les fleurs, les habitats, les civilisations, les époques, les mythologies… Avec ce catalogue d’images, je me suis construit une encyclopédie dans la tête et lorsque je lis, je vais chercher dans ma mémoire ce que j’y ai stocké. Mais des fois, j’ai des bugs dans mon cerveau ! Je confonds un nom avec un autre et l’histoire ne veut plus rien dire.

J’ai toujours un dictionnaire à proximité. Parfois, j’ouvre une page au hasard et je lis toutes les significations. C’est sûr que je ne gagne pas à tous les coups ! Si je tombe sur le mot « paradisiaque » par exemple, les palmiers et le soleil ne sont pas loin dans ma tête. C’est mieux que de tomber sur « incarcération ». 

Vous devez penser que je suis un peu tarée et vous avez peut-être raison ! A force de tourner en rond dans ma pauvre petite vie, j’en finis par perdre la tête. L’autre jour, j’ai dû aller voir ma conseillère et elle m’a posé une tonne de questions. Elle voulait savoir ce que j’allais faire de ma vie, quels étaient mes projets, mes envies, mes besoins. Tout ci, tout ça. Je me demande ce que cela peut bien lui faire ce que je vais devenir. C’est sûr que je vais sûrement aller vivre chez ma mère, je n’ai pas beaucoup le choix, même si cette perspective ne m’enchante guère. Ma conseillère, elle doit avoir le même âge que moi. Je me demande si elle aime la lecture ? Elle est tellement sérieuse. S’est-elle déjà imaginée être à la place de la jolie princesse du conte des « Milles et une nuits » ? Shéhérazade… quel beau prénom. L’exotisme à son paroxysme ! Elle me parle et je l’entends me donner des conseils mais mon esprit est déjà loin. Aladin, le Sultan, les tapis volants, le trésor, Ali Baba… Parée de mille bijoux, je me vois au balcon de ma chambre, attendant le grand amour.

– Mélanie, vous m’écoutez ? me demande-t-elle soudain, un peu contrariée.
– Oui, bien sûr. Continuez, je vous écoute !

Et elle reprend sa litanie de bons conseils pendant que je reviens poser mes pieds sur terre. C’est nettement moins glamour. Son bureau est froid et désordonné. Je ne vois pas de livres, ce qui doit être normal puisque c’est un bureau professionnel. Par contre, derrière elle, j’aperçois un fascicule intitulé « La culture sans barreaux ». Un mémoire ? Je trouve ce titre formidable. C’est comme cela que je la vois la culture ; sans barreaux, sans contrainte, sans limite, sans frontière. Chacun peut en profiter. La culture est gratuite. Il suffit de s’y intéresser. Il faut donner aux enfants l’envie de lire car rien ne remplace un livre. Les ordinateurs nous inondent d’informations, de photos, d’images mais elles sont dénuées de sensations, de ressentis, d’impressions, d’émotions, d’intuitions. Au collège, les profs m’ont fait étudier des romans de Balzac, Zola ou Rousseau, des textes expliquant des paysages, des constructions, des tempêtes… sous toutes leurs coutures, comme on dit ! Des pages entières de descriptions. Quel talent ! Mais à cette époque, je n’étais pas assez studieuse pour m’y intéresser. Par principe ! J’aurais sûrement dû ! Je rattrape le temps perdu…

Si j’avais le choix, j’aimerais bien travailler dans une bibliothèque ensuite. Quoi que je pense que je ne serais pas productive. Si à chaque titre, je passe une heure à rêver, ça risque de faire désordre ! La puissance d’un titre ! Il peut m’entraîner très loin dans l’imaginaire.

Dernièrement, j’ai lu « Disparue dans la nuit » de Yann Queffelec. J’ai vu les mauvais quartiers de Marseille où s’entasse la misère sociale, j’ai imaginé les dealers, les ascenseurs vandalisés, le port et ses paquebots remplis de touristes… Voyage gratuit dans le Sud de la France, au soleil. En plein hiver, cela fait du bien au moral de partir sur les côtes méditerranéennes !

Si je devais écrire un roman, je commencerais par choisir le titre. Par exemple « La vie ratée de Mélanie », « Le cauchemar de ma vie », « Inutile, je ne sers à rien ». Vous voyez, des titres accrocheurs. Des titres vérité ! Bon c’est sûr, c’est un peu déprimant. Mais ma vie, elle est vraiment déprimante. Des jours, je me demande vraiment ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter une vie aussi nulle. C’est mon karma, c’est sûrement cela.

– Pourquoi tu pleures ? me demande Carine.

Je n’avais même pas remarqué que mes larmes coulaient. Carine s’approche de moi et me fait un gros câlin. Je lui explique que je ne sers à rien. Que ma vie est inutile et que je n’en peux plus. Me tournant vers le mur, je continue mes lamentations.

– Certains se plaignent mais vivent dans des prisons dorées et nous, on vit dans une prison pourrie et on ne peut même pas se plaindre, je lui hurle à l’oreille dans une cascade de larmes.
– Ça va aller, ne t’en fais. Après la pluie vient le beau temps ! C’est bien toi qui me dis cette phrase à chaque fois que je pète un câble, non ?! Pleure un bon coup et après, tu te sentiras mieux.

Carine essaie, tant bien que mal, de me remonter le moral. Je me dirige vers la fenêtre et je m’aperçois que des flocons commencent à tourbillonner. Paradoxalement, cela me réchauffe le cœur. Quand le sol est recouvert d’un joli tapis blanc, cela permet de cacher dessous toute la misère du monde. Les images s’agitent déjà dans ma tête. La montagne, les sapins, les balades en forêt, une descente à ski, une bonne raclette au coin de la cheminée, dans un magnifique chalet en bois. Ce scénario m’emporte vers des idées plus belles, moins noires.

– Tu sais Carine, il y a des jours où j’ai vraiment envie de m’évader.
– N’importe quoi, me dit-elle en explosant de rire ! Tu veux scier les barreaux, creuser un tunnel, monter dans le camion de linge sale ? C’est quoi ton plan ?!
– Je n’en sais rien. Pourvu que je sorte d’ici, lui dis-je sans me retourner.
– Allez ! Bientôt tu pourras vivre comme tu voudras. Le temps va passer vite maintenant. Combien, encore ? Cinq mois ? C’est quoi cinq mois dans une vie ?

Alors que j’allais lui répondre, j’entends la serrure s’ouvrir et la surveillante s’adresse à moi :

– Ecrou 31.792, parloir ! Tu as une visite. C’est ta mère.

Je me dirige presqu’en courant vers le parloir où je vais pouvoir serrer ma mère dans mes bras, sous le regard, pas toujours bienveillants, des gardiennes de prison. J’ai pris dix ans. Je suis incarcérée depuis plus de neuf ans à la prison des femmes de Réau en Seine-et-Marne. J’ai échappé à la prison infernale, tyrannique, sauvage et violente que mon mari m’avait construite, sans libération possible. J’ai choisi une autre voie ; j’ai permis à son âme de vivre au Ciel pour l’éternité.

Quand je sortirai d’ici, je fais la promesse de ne plus jamais me marier ! Sauf pour épouser un roman qui s’appellerait « L’amour de ma vie, est un livre ».


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