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Le juste équilibre

Classement : 7ème sur 170 (page 56) – 2022


Surprise ! 

Il est 17 heures. Les invités vont arriver d’ici deux heures. Il me reste juste le temps de prendre une douche, enfiler ma robe et mettre un peu de maquillage. J’ai tout organisé pour l’anniversaire de mon mari. Dans son dos ! Il ne se doute de rien. J’avoue que ça n’a pas été facile tous les jours. Il m’a posé quelques questions piège, sans le savoir. J’ai dû faire preuve d’une imagination débordante pour ne pas gaffer.

Aujourd’hui, tout est prêt. J’ai tout prévu, organisé, géré. Pas de place à l’imprévu ! Mon fils a emmené son père au karting cet après-midi. Comme ça, je ne l’ai pas dans les pattes. Mes enfants sont dans la confidence, bien sûr. Sans leur complicité, cela aurait été très compliqué.

J’ai pensé à tout. Les faire-part ont été distribués en toute discrétion. Le numéro de téléphone à utiliser pour ceux qui voulaient avoir des informations supplémentaires était celui de ma fille aînée, Nolwenn. Il a bien été mentionné sur l’invitation « Ne pas en parler à Stéphane. Ne pas téléphoner à la maison. Prendre contact avec Nolwenn uniquement. »

Hier soir, je ne suis pas allée à la danse, comme tous les vendredis soir. J’avais récupéré les clefs de la salle des fêtes et, avec deux de mes amies, nous avons mis les décorations dans la salle. Mon mari fête ses soixante ans et il prend sa retraite dans la foulée. Une autre vie s’ouvre à lui. J’ai hâte de ne plus travailler moi aussi. Pour moi ce sera dans quatre ans. S’il a pu bénéficier de la retraite à soixante ans, je vais devoir attendre mes soixante-deux ans. J’ai arrêté de travailler pour élever nos enfants, donc je ne peux pas partir plus tôt. C’est bien dommage !

Je refais le point dans ma tête. Stéphane va revenir d’ici une petite heure. Je vais lui proposer d’aller au restaurant ce soir, comme ça, il va aller prendre une douche et s’habiller en tout beau, comme il aime le faire quand nous sortons. Je lui ai acheté une nouvelle chemise et je lui proposerai de l’enfiler.

Ma fille Estelle a accueilli le traiteur en début d’après-midi dans la salle. Il a pris possession des cuisines. Les musiciens s’installeront vers 18h30. Elle se chargera de les accueillir également. Quand nous pénètrerons dans la salle, tout sera prêt. J’ai hâte de voir la tête de mon mari quand nous ouvrirons les portes !

Imprévu n° 1

Je sors de la douche et le téléphone sonne.

– Allo, maman, c’est Estelle !

– Oui, ma puce. Tout va bien ?

– Maman, je pense que ce serait mieux de décaler un peu l’heure de votre arrivée avec papa.

– Mais non, enfin, pourquoi ? lui demandais-je, inquiète.

– Le four ne marche pas bien et le cuisinier prend du retard. Du coup, il ne sera pas prêt pour l’apéritif. Ce serait moche que la surprise ne soit pas au top ! Tu sais, on doit faire une haie d’honneur en lui présentant le champagne et les petits fours. Donc si on veut continuer la mise en scène, il faudrait arriver vers 20 heures plutôt que 19.

– C’est bien embêtant tout ça. La mairie m’avait certifié que les appareils électroménagers fonctionnaient parfaitement. Je leur dirai mon mécontentement en lui rendant les clefs lundi.

– Maman, faut que je te laisse, je crois que les musiciens arrivent. Bisous.

Et elle raccroche me laissant avec cet accroc qui me contrarie. Pour me détendre, je monte dans ma chambre et m’installe devant la coiffeuse pour une séance beauté.

J’enfile mes collants, ma nouvelle robe verte surmontée de brillants et mon collier en or, hérité de ma grand-mère. Je mets mes chaussures à talons mais je prépare une autre paire, moins haute, pour pouvoir danser le soir ! Une petite touche de parfum. Je suis fin prête.

Imprévu n° 2 

Le téléphone sonne de nouveau.

– Allo, maman, c’est Nolwenn !

– Tu vas bien ma bichette. L’heure approche à grands pas. J’attends papa qui ne devrait plus tarder.

Je lui explique les problèmes rencontrés à la salle et le fait que nous devons reculer l’heure de notre arrivée avec papa. Je la charge d’accueillir les invités avec sa sœur en attendant notre venue et de meubler ce temps d’attente.

– Ecoute maman, j’ai un petit problème. Je vais être en retard, moi aussi.

– Oh, non, ce n’est pas possible, enfin. Que t’arrive-t-il ?

– Ce n’est pas moi, c’est le chat ! Il s’est coincé la patte et il boîte. J’ai dû l’emmener chez le vétérinaire et je viens juste de rentrer. Il faut maintenant que je me prépare. Mais ne t’inquiète pas, ça va aller. Tout va bien se passer !

Franchement, je pense que le chat aurait pu attendre. Il n’était pas à l’agonie non plus. Parfois, je me demande ce que les gens ont dans la tête. Ça a beau être ma fille, elle me surprend d’avoir donné la priorité à son chat plutôt qu’à la fête de son père. Evidemment, je n’allais pas lui dire ça, mais cela m’aurait soulagé de lui dire ce que je pensais.

Décidemment, les choses ne s’enchaînent pas comme je l’avais prévu. Toute mon organisation au millimètre est en train de tomber à l’eau. Je n’aime pas ça, du tout ! Je me fais couler un café, histoire de penser à autre chose.

Imprévu n° 3 

Je me pose devant la fenêtre, ma tasse à la main. Il fait un beau soleil et la température extérieure est très agréable pour la saison. Nous pourrons aller un peu dehors le temps de l’apéritif, profiter des derniers rayons de soleil. J’entends mon téléphone sonner. J’espère que c’est enfin une bonne nouvelle.

– Allo, maman, c’est Franck !

– Oui mon chéri. Tout va bien ? Ton père ne se doute toujours de rien ? Ça a été votre après-midi karting ?

– Maman, on a un petit souci avec la voiture. On attend la dépanneuse. Papa n’a pas trouvé la panne. Il a passé une demi-heure le nez sous le capot mais rien n’y fait. La voiture ne veut rien savoir. On a appelé l’assurance et elle nous envoie une dépanneuse.

– Mais on a besoin de la voiture ce soir ! On n’a pas le choix, m’écriais-je, à la limite de l’hystérie.

– Ne t’en fais pas maman. Si le garagiste ne trouve pas la panne, il nous prêtera une voiture pour ce soir. Papa a appelé l’assurance et c’est convenu avec elle.

– Décidemment, je n’ai que des problèmes aujourd’hui. Vous pensez être là pour quelle heure ?

– Je n’en sais rien. Je te tiens au courant dès qu’on aura vu le garagiste. Ne t’inquiète pas, maman, tout est sous contrôle !

Et il raccroche, me laissant seule avec une montée de stress incontrôlable.

Je me refais couler un café. Je vais être obligée de remettre du rouge à lèvres car c’est la tasse qui en a le plus profité.

Imprévu n° 4 

Je me pose sur le canapé et allume la télévision. Je tombe sur une émission animalière. Elle raconte la vie des blaireaux. Tu parles d’un thème. Depuis une heure, je me sens vraiment comme un blaireau, dans le mauvais sens du terme.

Cela fait plus de six mois que j’organise cette fête. J’ai fait des listes et des listes. J’ai passé des coups de téléphone à droite et à gauche, au traiteur, au fleuriste, au musicien. J’avais contacté tous nos amis avant pour définir la meilleure date. Je n’ai pas fait les choses à moitié. Et c’est quoi ma récompense ?

Le four ne fonctionne pas, le chat boîte et la voiture est en panne. Tout ça dans la même journée. Vous avouerez quand même que je n’ai pas de chance. Que va-t-il arriver d’autre jusqu’à ce soir ? Je me le demande bien. Quelle poisse !

J’entends une voiture se garer devant la maison. Je me lève d’un bond et regarde par la fenêtre. J’aperçois un véhicule de livraison. Le chauffeur en sort et se dirige vers l’arrière de sa camionnette. C’est sûrement pour la voisine. Je retourne sur le canapé. La sonnette retentit. Le livreur a dû se tromper de numéro. Je vais ouvrir la porte.

– Bonjour madame, j’ai un bouquet à vous livrer. Je suis bien au n° 5 ?

– Oui, c’est bien le 5. Mais je n’attends pas de fleurs, désolée.

– Il est marqué… il cherche le nom… oui, c’est là, c’est marqué « Chérie« . Je n’ai pas d’autre nom. Mais c’est bien noté au n° 5 de la rue. Donc c’est bien pour vous !

Il s’écarte, se penche et soulève une gigantesque composition de fleurs, principalement ornée d’orchidées et de fleurs exotiques. Le bouquet est magnifique. Je n’en ai jamais vu de si beaux. Il rentre et le pose sur la table de la salle à manger. Je lui précise que s’il y a erreur, il pourra toujours venir le rechercher le lendemain matin, mais pas ce soir car je serai absente.

Il me confirme qu’il n’y a pas d’erreur et se dirige vers la porte en me souhaitant une bonne soirée.

La composition est géante et a dû coûter une fortune. Celle à qui elle était destinée doit être aimée par un mari charmant. Quelle chance elle a… mais tant pis pour elle, car pour l’instant, c’est moi qui en profite !

Imprévu n° 5 

Ce bouquet m’a toute chamboulée. Je n’arrête pas de le regarder. Comme il est beau ! Quand Stéphane va rentrer, il va se demander d’où il vient ! Il ne devrait pas tarder maintenant. Franck ne m’a pas rappelée ; il a dû oublier ! Notre voiture est neuve, elle n’a pas de raison tomber en panne, franchement.

Il est bientôt 19 heures et ils ne sont toujours pas revenus. Je commence à m’inquiéter. Je n’ai pas de nouvelles. Où peuvent-ils bien être ? Je tourne en rond dans le salon. La télévision m’énervait ; je l’ai éteinte. Je suis comme un lion en cage. Je ne vais pas les appeler mais ce n’est pas l’envie qui me manque !

La porte d’entrée s’ouvre. Enfin, Stéphane est là. Je m’approche rapidement de lui et lui demande si tout va bien. Il m’embrasse et me rassure.

– Bien sûr que ça va ! J’ai passé un super après-midi avec Franck. Il faut que je fasse ça plus souvent. Ça lui a fait plaisir autant qu’à moi cette sortie !

– Super. Mais dis-moi, tu as récupéré la voiture, j’espère !

– Ah, la voiture. Bah non, figure-toi. Impossible de la faire redémarrer. Le garagiste ne sait absolument pas ce qu’elle a ! C’est incroyable, non ?!

Stéphane passe devant le bouquet de fleurs et ne le remarque même pas. Je lui dis que j’ai envie d’aller au restaurant et que j’espère qu’il a une voiture en remplacement.

– Oui, il m’a prêté une voiture. Mais je te préviens, ce n’est pas le même gabarit que la nôtre. Ça va te changer !

– Je m’en fiche, je lui réponds. Tant que nous pouvons aller au resto, le reste m’indiffère ! On la récupère quand la nôtre, tu le sais au moins ?

– On sera fixé la semaine prochaine. Ce n’est peut-être pas grand-chose. Si tu veux sortir, je vais aller prendre une douche avant. D’accord ?

– Oui mon chéri ! Je t’ai sorti la nouvelle chemise. Tu n’as qu’à la mettre !

Il grimpe l’escalier et ajoute :

– Au fait chérie, elles sont superbes tes fleurs !

Stéphane a vu le bouquet mais il n’est même pas impressionné. C’est bien les hommes, ça ! A-t-il au moins une idée du prix ? Ça m’étonnerait !

Une demi-heure plus tard, Stéphane redescend, tout beau, coiffé, parfumé, prêt pour notre soirée. S’il savait !

– Tu es toute en beauté ce soir ! me glisse-t-il à l’oreille. Tu es prête ?

Je regarde l’heure. Il est quasiment 20 heures. Il est grand temps que nous partions. J’enfile une veste et un chapeau d’été pour terminer ma tenue. Je sors et Stéphane ferme la maison à clef. Nous nous dirigeons vers la rue où sont garées plusieurs véhicules. J’aperçois une Ford Mustang de 1966, rouge, cabriolet, garée devant chez les voisins. Je le fais remarquer à Stéphane qui sait à quel point j’adore cette voiture. Si j’avais les moyens, j’en achèterais une identique.

Lorsque nous nous approchons, la Mustang émet un bip et j’entends les portes se déverrouiller. Je regarde autour de moi, cherchant le propriétaire de cette fabuleuse voiture qui doit forcément être à côté. Quelle n’est pas ma stupeur de voir Stéphane ouvrir la portière côté passager en m’invitant à m’asseoir.

– Ça va pas ! Je ne monte pas dedans. Si le propriétaire débarque il va nous lyncher !

– Si madame veut bien s’installer à bord de cette voiture, cela nous permettra d’arriver plus vite au restaurant ! me lance-t-il !

Je n’en crois pas mes oreilles !

– Tu veux dire que c’est la voiture que tu as eue en prêt à la place de la nôtre ?

– C’est ça, oui. Si on veut ! Allez installe-toi, je t’emmène !

Je savoure mon bonheur d’être assise dans un véhicule si extraordinaire, si fantastique, tellement américain. Du bonheur à l’état pur ! Stéphane tourne la clef dans le contact et le V8 se met à ronronner comme un chat. Quel bruit ! Ce n’est pas un moteur, c’est un poème !

– Je t’emmène où ? me demande-t-il.

Prise au dépourvu, je lui réponds « à la salle des fêtes du village« . Comprenant ma gaffe, je lui précise que j’ai une personne à voir sur place avant le dîner. Il n’a pas l’air surpris, tant mieux !

Imprévu n° 6 

Stéphane se gare sur le parking où la première place a été réservée pour nous par les enfants. Je lui fais remarquer que nous avons une place juste devant l’entrée. Je lui demande de venir avec moi pour saluer mon amie qui m’attends dans la salle. Stéphane coupe le contact, ferme la Mustang et range les clefs dans mon sac à main. Cela ne me surprend pas plus que ça car souvent il me confie les clefs de la voiture pour être sûr de toujours les retrouver.

Je voudrais qu’il rentre en premier dans la salle mais il n’en fait rien. Galanterie, oblige ! Je ne veux pas insister et pénètre dans la salle la première. Quel n’est pas mon étonnement de voir une multitude de personnes que je n’avais pas invitées ou qui m’avaient dit ne pas être présentes ce jour-là.

Où sont passées les décorations que j’avais accrochées la veille ? Que s’est-il passé dans cette salle ? Je ne comprends plus rien ! Les invités me regardent, sourire aux lèvres, et ne s’intéressent que très peu à mon mari. C’est le monde à l’envers. Mon esprit est en train de perdre le Nord !

Je me retourne vers Stéphane qui me sourit amoureusement et m’invite à me placer au milieu de la salle. Les invités s’installent en cercle autour de nous deux. Où est la haie d’honneur avec le champagne et les petits fours ? D’où viennent tous ces bouquets de fleurs exotiques, semblables à celui que j’ai reçu ? Des orchidées sont disposées sur les tables. Des dizaines ! Je n’en reviens pas. La salle est magnifique et toutes les personnes que j’aiment sont maintenant autour de moi. Les larmes me montent aux yeux. Je cherche mes enfants du regard. Ils sont là, souriants, tenant une immense enveloppe dans les mains. Elle est si grande qu’ils la tiennent tous les trois.

Stéphane va les rejoindre et me laisse seule, au milieu du cercle amical. Il prend la parole.

– Ma chérie, je sais tout le mal que tu t’es donné pour organiser cette fête… en mon honneur ! Non, ne t’inquiète pas. Personne n’est à blâmer d’avoir vendu la mèche. Il n’y a qu’un seul responsable, et c’est moi. J’ai tout fait pour court-circuiter tes projets. Et j’en suis ravi car tu n’as rien vu, rien compris, n’est-ce-pas ?

Les invités rigolent et applaudissent. Stéphane reprend son discours.

– Depuis que nous sommes mariés, tu as toujours tout organisé, orchestré, planifié, et à chaque fois, à merveille. Je suis sûr que cette fête que tu me programmais aurait été parfaite. Comme d’habitude ! C’était sans compter les quelques aléas que tu n’avais pas prévus, et pour cause ! Ma chérie, ce soir, nous n’allons pas arroser mon anniversaire ! Non, vois-tu, ce soir, c’est le premier soir de ta nouvelle vie ! Pour commencer, tu as une nouvelle voiture, elle est garée devant la salle, les clefs sont dans ton sac. Tu as un bouquet de fleurs qui correspond aux pays que nous allons bientôt visiter. Petit détail, le four fonctionne formidablement bien ; le chat est en pleine forme et ma voiture n’est pas en panne !

Et je vois mes enfants ouvrir l’enveloppe, en sortir un immense document. C’est un chèque grand format. Logo de la Française des Jeux, en haut à gauche. Et le chiffre deux… suivi de six zéro !

Mes jambes ne me portent plus, je vacille. Une main amie m’aide à me tenir debout. J’écarquille les yeux et mon mari ajoute :

– J’ai gagné au Loto. Nous sommes les heureux gagnants de deux millions d’€uros. Bonne fête ma chérie ! Bonne fête à tous !

Et là, toutes mes convictions s’envolent ; mon organisation millimétrée a foutu le camp. Mais quel bonheur !
A quoi bon être prévoyant ? Je vous le demande !


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